Attitude d'empathie et de négatricité

Site: Plateforme de formations ouvertes de l'université Claude Bernard Lyon1
Cours: Voix Corps Enseignement
Livre: Attitude d'empathie et de négatricité
Imprimé par: Visiteur anonyme
Date: jeudi 21 novembre 2024, 18:04

1. Un scénario type

La situation prototypique de conflit de tous les « en ‘Je’ux ».

Pour rester au cœur de la préoccupation de notre site, nous avons choisi de vous présenter une situation archétypale de conflit, la situation prototypique de tous les en-jeux , dans les différentes phases qu’elle développe. Ce type de situation est bien au cœur des préoccupations de nos étudiants. Elle n’est malheureusement que trop souvent récurrente dans le cadre de nos visites formatives ou évaluatives, elle passe par différentes phases que l’on peut identifier et analyser dans un processus progressif de tension. La complexité d’une situation d’enseignement fait que l’on ne peut pas dissocier les aspects techniques, la maîtrise des gestes, de leurs aspects psychologiques qui les assujettissent. La situation débute par une situation d’instruction dans une posture d'empathie positive , dans le cadre opérant d’un micro geste professionnel inductif , pour progressivement se tendre et en arriver au terme de la scène, au paroxysme de l’exacerbation à une situation où l'enseignant prend progressivement une posture de négatricité , (Alin, 2010) dans une situation de sanction et un micro geste intrusif et le plus souvent non intentionnelle.


2. Posture d’Empathie

Une première étape, celle de « La sollicitation» peut être considérée comme étant le point départ de toute situation d’enseignement, elle débute habituellement par une posture d’empathie positive, dans une situation d’instruction avec des micros gestes professionnels inductifs   ; elle se caractérise par des indicateurs très repérables et constants dont le premier perçu est la voix et son parcours intonatif. « Maintenant vous sortez vos cahier de mathématiques…». L'analyse de cette première phrase dans son parcours musical, nous donne plusieurs informations quant à l'intention du locuteur. La voix est claire, l’intonation est toute empreinte de positif, comme si elle voulait stimuler le groupe à rentrer dans l’activité. Cela nous amène à faire une première constatation, en revenant à la source du langage. En effet, de même que le parcours intonatif de la voix est bien le premier paramètre que l'enfant maitrise dès sa première année d’existence, l'adulte perçoit par cette « musique du mot », les intentions les plus variées qui correspondent aux différents états affectifs du locuteur.


Une deuxième phase, que nous appellerons « la réplique », l'enseignante aperçoit un élève qui fait une activité déviante, elle rentre alors dans une posture où il souhaite le ramener à l'activité collective. Elle est toujours dans une empathie positive consciente , mais voyant que la situation ne fonctionne pas comme elle l’avait prévue, elle change progressivement de stratégie et entre dans un autre registre, tout en restant dans un micro geste d’instruction elle choisit d’investir une situation plus injonctive . Trois indicateurs se mettent alors en action, le premier est le corps qui par sa position, très stable, les deux mains l’une dans l’autre, avec un pas en avant en direction de l'interlocuteur en appui, interpelle l’élève en le cherchant du regard. Le deuxième indicateur est l’intonation de la voix ce que nous avons appelé la musique des mots, ou parcours intonatif de la phrase prononcée. Le ton de la voix est ici le véhicule du mot, il est encore une fois, considéré comme étant le marqueur de l’intentionnalité du locuteur  : « Jonathan, range s’il te plait ce que tu as dans les mains ». Enfin le troisième indicateur est identifié par le choix qui est fait des termes utilisés . La situation est claire, l’enseignante laisse percevoir son  intention de le faire changer d'occupation. Le simple fait de prononcer le prénom sur une intonation en trois notes, dont la dernière reste en suspension, laisse entendre que la maîtresse est dans de bonnes dispositions, nous pourrions l’appeler une interpellation de bienveillance ou situation de régulation à ce stade du développement de l’incident, en formulant sa demande, l’enseignante pense que l’élève va rentrer dans le rang et rapidement changer d’occupation. Dans le découpage sémantique de la phrase le prénom vient au début, il est suivi d’une césure, avant d’annoncer ce qui est demandé. Nous sommes bien dans une situation injonctive , mais toujours dans une posture d’empathie . Le temps utilisé lui aussi est un indice remarquable, « range s’il te plait ce que tu as dans les mains » l’impératif suivi d’une formule de politesse habituelle aurait pu suffire à clore l’évènement. L’interlocuteur, n’est pas mis à distance, il n’est pas rejeté, le dialogue est maintenu, l’enseignante semble donner une chance à l’élève et ne pas faire cas de son dysfonctionnement. L’intonation de la voix est ferme, l’enseignante nous montre ainsi que ce qu’elle demande n’est pas négociable, cela se perçoit dans le parcours intonatif, qui commence dans l’aigu pour se terminer sur une tonique dans le grave, marquant ainsi  la volonté du maître. Sa position est juste devant le groupe, nous indiquant une position d’attente, la tête est penchée sur le côté avec appui sur un pied, montrant en cela une énergie concentrée sur un axe horizontal qui se dirige en direction de l’élève, un moyen de pression pour l’aider à réagir. L’incident n’a pas duré plus de quatre secondes, l’enseignante à relevé le problème ; une manière implicite de rappeler le règlement intérieur, elle a ainsi, signifié à l’ensemble de la classe qu’elle n’acceptera pas ce genre de comportement ; l’incident aurait pu en rester là. Le geste professionnel ainsi identifié et analysé ci-dessus, est très probant il est suffisamment clair pour normalement être efficace.


Mais la réalité en décide parfois autrement, nous postulons dans ce jeu de situation, que l’élève ne cède pas, qu’il cherche à rentrer en conflit, nous rentrons dès lors dans  :

Une troisième phase, celle du « marquage de territoire », la situation va s’envenimer, l’incident prend alors une autre tournure. L’enseignante fait deux pas en avant, et pose la question suivante : « Jonathan, qu’est-ce que c’est ? »…  L’enseignante se rapproche du groupe classe, elle fait signe en se penchant encore plus, les mains en position d’attente signifiant ainsi qu’elle veut identifier la cause en étant au cœur de l’incident. « Ta Nintendo ça na rien à faire ici ! On est en train de faire du français », l’élève coupe le maîtresse et dit en superposition : « Je range ! » Réponse du professeur : « D’accord, donc tu la ranges tout de suite ». A ce stade, l’enseignante croit qu’il a maîtrisé la situation. Ces gestes sont plus significatifs, la main gauche s’est détachée de la main droite et souligne par un geste marqué, les accents prononcé sur les paroles : « ça n’a rien à faire ici. » Les indicateurs semblent montrer qu’il pense avoir « gagné », ce qui se confirme par la phrase qui suit : « D’accord, tu le ranges tout de suite ! ». Le mot d’accord lui fait espérer que l’élève va obéir , il arrive comme une respiration dans ce combat intérieur qui est vécu dans l’instant, le mot vient pour encourager l’élève, avec le menu espoir que cela va suffire et que ce dernier va obéir. Ce moment est crucial, la seconde semble interminable, à tout moment l’incident peut basculer dans un registre ou un autre. Elle est très longue cette seconde et elle fait mal, l’enseignante est aux aguets prêt à bondir, le seuil de tolérance propre à chacun n’est pas loin d’être atteint . En deçà, personne ne va pouvoir prédire ce qu’il peut se passer. Et c’est bien là, qu’il faut essayer de rester professionnel, ayant identifié ce point cathartique, trop proche du but, l’enseignante ne peut plus concevoir une autre solution que la délivrance . La solution voudrait que très vite on s’adresse au grand groupe avec un regard positif, pour reprendre le cours normal de la séance et clore l’incident . Malheureusement, trop souvent la fin de cette étape est mal maîtrisée, l’enseignante attend on ne sait quoi, comme pour bien faire comprendre qu’elle est maître du jeu, est-ce par hésitation ou par peur de ne pas s’être suffisamment fait comprendre, la posture devient dès lors ambigüe ? La classe a été prise en otage par l’élève perturbateur et si l’incident dure une seconde de trop, tout est à refaire, la réaction vient de créer de la résistance chez son interlocuteur.


3. Posture de Négatricité

A partir de là, si l'élève rentre dans une posture de refus d'obtempérer, alors la situation se bloque. Nous abordons ainsi :

Une quatrième phase, celle « du combat rapproché ». Nous passons d’une situation de communication dite de rupture à une situation de communication dite de « négatricité » où l’élève déni le pouvoir légitime du professeur. Si l’enseignante  n’a pas compris le mécanisme, ne s’est pas approprié en formation un protocole de réponses appropriées, afin de toujours rester dans une posture professionnelle, alors les réactions sont systématiquement les mêmes, l’incident non maîtrisé dans les quelques secondes amène inévitablement le locuteur à rentrer dans une posture négative. La plus part du temps dans nos trop nombreuses observations, l’enseignant ne choisit pas consciemment cette posture, il le fait certes de manière inconsciente , mais la faille est bien là, lisible par l’ensemble des élèves d’une classe est surtout par l’élève responsable du conflit. Cette posture de non mise à distance, toute empreinte d’antipathie , est trahie par les nombreux gestes et attitudes qui dénoncent ce qu’il ressent intérieurement, son regard joue ici un rôle primordial, il est non équivoque et nous situe de fait instantanément dans le registre d’un micro geste de la sanction . Comme si le curseur avait été monté en intensité jusqu’au point de rupture, comme si l’adulte ne pouvait plus contenir la tension véhiculée par la situation. Dans notre situation pilote, l’élève fait mine de ne pas comprendre et ne range toujours pas la Nitendo ; dès lors, l’enseignante rentre rapidement dans l’espace de l’élève,  le lien se tend. L’enseignante se déplace jusqu’à l’élève, il va jusqu’au contact et lui dit : « Bon alors je la prends ! Tu donne ! Je te la rendrai à la récréation ! » Nombreux sont les indicateurs qui se mettent alors au rouge : le débit de la voix est plus rapide, le ton de la voix, lui, monte dans les aigus, la distance au sujet se rétrécie, les différents gestes des mains et le regard se tendent… le tu de « tu donnes ça ! » est en général l’instant qui fait tout basculer, en effet, la formule n’est pas la meilleure qui soit, en ce qu’elle prend l’autre à parti, le tu agresse l’autre en le ciblant, le je n’accepte pas en partant du ressenti, semble être une formulation bien plus efficace. Progressivement, nous rentrons dans une posture de plus en plus négative, une situation de sanction, répressive sans reformulation . Nous sommes dès lors, dans un moment charnière, celui de la reprise ou non du pouvoir de l’Autorité.


Mais heureusement, toutes les situations ne se terminent pas par un conflit poussé à l’extrême ; grâce à la formation, si le cas lui a déjà été présenté lors de jeux de situation, avec la mise en place dans une introspection gestuée, d’une posture contrôlée, l’enseignant doit peu à peu apprendre à maîtriser ses gestes, il va pouvoir contrôler ses réactions, il aura plus de chance de rentrer dans une réponse professionnelle mieux adaptée. Après avoir pris un certain recul et pris conscience de la situation, il va pouvoir réagir sans tendre la situation et casser cette spirale négative. Dans notre cas d’école, le professeur fait un pas en arrière, il reprend le contrôle de la situation dans un micro geste professionnel de régulation que souligne la phrase : « Je ne veux plus le voir « avant de terminer par deux pas en arrière et le mot : « Voilà ! » avec une insistance sur cette dernière syllabe, cette seule syllabe porte en elle la marque de la délivrance, le corps se détend.



Enfin en sixième étape, pour clore la situation et vraiment marquer que l’enseignante a repris son territoire en reculant à portée de tous, l’incident se termine par un micro geste d’injonction pour cadrer l’élève, elle reprend le mot libérateur voilà et dans une situation d’instruction injonctive il va clore l’incident : «  Voilà, tu prends ton crayon, tu prends le cahier…et tu te mets au travail ». Il montre ainsi qu’il a fini par obtenir ce qu’il demandait. Le ton de la voix est ferme, le découpage des patterns de temps est précis , par trois fois, en trois unités sémantiques, les consignes sont assignés , par le geste, la voix dans une ligne mélodique descendante sans ambiguïté et les mots clés sont : crayon, cahier, travail, trois symboles forts s’il en est du métier d’élève. Elle tourne le dos à l’incident et reprend rapidement la direction de sa place en regardant l’ensemble de la classe.


Un des intérêts de ce travail d’observation à la loupe de ces diverses attitudes, réactions et comportement des protagonistes qui occupent la grande scène du théâtre des apprentissages qu’est l’école, est sans nul doute de voir où commence et où s'arrête l'incident ? Existe-t-il un protocole qui permette de mettre en évidence ces micros gestes professionnels ? Sont-ils suffisamment stables et explicitables afin d’être intégrés dans les parcours de formation afin que nos étudiants, ces futurs professeurs soient capables de s’en servir ? Peuvent-ils se les approprier lors de leurs différents stages dans l’accompagnement formatif qui leur est proposé dans les plans de formation ?